Interview dans l'Opinion: «Sur le numérique, la politique franco-allemande est molle et suicidaire» Par Hugo Sedouramane, Journaliste
- 16 septembre 2015
Interview dans l'Opinion: «Sur le numérique, la politique franco-allemande est molle et suicidaire» Par Hugo Sedouramane, Journaliste
Les faits - Après de nombreuses gesticulations et un retard de plus de deux ans, le Projet de loi numérique sera soumis à une consultation publique la semaine prochaine. Protection des données, Open data, neutralité des plateformes... Il abordera un nombre important de sujets très techniques.
Une version du Projet de loi numérique soumise à contribution publique sera publiée la semaine prochaine par Bercy. Doit-on s'attendre à une bonne nouvelle ? Sur la forme, je suis favorable à l'ouverture des consultations autour des textes de loi, mais cela ne doit pas se faire sur un texte aussi technique. Les Français ne s'intéressent pas à des sujets comme l'open data : ils veulent qu'on leur parle de fibre optique.
Cette consultation est donc un moyen de satisfaire les ego des ministres. Tout comme le choix du gouvernement de maintenir l'idée de deux projets de lois distincts. Sur ce Projet de loi numérique et ce que j'en sais, je peux dire que je le trouve à la fois peu ambitieux et trop restreint. C'est un coup de com’ alors que la priorité est d'accélérer les projets de réformes à l'échelle européenne via un axe franco-allemand fort.
On renvoie souvent les sujets numériques aux questions européennes. Peut-on là aussi parler d'ambition politique ?
J'ai le sentiment qu'il n'y a pas de collaboration forte entre la France et l'Allemagne sur les sujets comme la protection des données ou la souveraineté numérique. Pendant ce temps, les entreprises américaines font un hold-up sur les données personnelles. Il n'y a pas de volonté politique au sujet du marché unique numérique, la France et l'Allemagne pratiquent une politique molle. C'est suicidaire. En matière de souveraineté, les enjeux de valeur et d'éthique sont par exemple très puissants. La réalité est que peu de personnes viennent nous parler des questions éthiques : la Quadrature du Net et Renaissance Numérique font un très bon travail, mais il est difficile de savoir quelle vision ils portent. La création d'une Grande école du numérique se confirme. Une bonne idée ?
Il y a d'abord un problème sémantique : on a le sentiment d'entendre par sa désignation l'esprit de Polytechnique. Pourtant, les grandes écoles intègrent déjà des formations touchant l'économie numérique. Je sais que la priorité de l'école est d'apprendre aux jeunes à lire et à écrire, mais il serait pertinent de faire des cours de création de site Web au collège, et de gestion d'identité numérique. Dans l’Education nationale, il faut réaliser de nouvelles expérimentations avec des professeurs de technologies. Il faut aussi accepter de changer de modèle.
Depuis fin juin, une circulaire limite l'intérêt du dispositif des Jeunes entreprises innovantes. Les exonérations ne s'appliquent plus que sur la rémunération des salariés qui consacrent au moins 50 % de leur temps de travail aux projets de R&D. Un choix paradoxal quand le gouvernement parle de financer l'innovation... J'interviendrai sur ce point lors des discussions sur le Projet de loi de finances. Je me suis d'ailleurs déjà prononcée sur ce sujet il y a plusieurs années et l'élargissement du statut en 2013 allait pourtant dans le bon sens. Le problème est que les députés ne connaissent rien au fonctionnement d'une start-up, et encore moins la manière dont se dessinent leurs modèles économiques.
Pire, la réforme qui se profile ne permettrait de récupérer que 5 à 10 millions d'euros et ce n'est donc pas prioritaire : le droit du travail doit faire l'objet d'intenses discussions. Emmanuel Macron est d'ailleurs très attendu sur ce sujet.
Le droit du travail à l'heure du numérique est un sujet qui touche aussi l'administration publique...
Il faut améliorer la productivité administrative avec le numérique. Tout ce qui ne relève pas de fonctions régaliennes devrait faire l'objet de davantage de mobilité. Et peut-être faut-il, à l'avenir, réserver le statut de fonctionnaire à ces fonctions régaliennes et prendre des contractuels pour le reste.