Ma tribune dans "Libé": La société connectée sera-t-elle celle de la surveillance ? - 23 juillet 2015
La société connectée sera-t-elle celle de la surveillance ?
Le Conseil constitutionnel doit rendre ce jeudi un avis sur le projet de loi relatif au renseignement. Pourquoi le gouvernement français s’obstine-t-il à autoriser la collecte massive de données, technique pourtant avérée inefficace dans la lutte contre le terrorisme ?
Le président de la République, le président du Sénat et 106 députés ont fait le choix de saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi relatif au renseignement. Notre Cour constitutionnelle dispose de quelques jours pour rendre une importante décision. Nous l’appelons à se tourner vers l’avenir
Hier, les «écoutes» des services de renseignement étaient limitées aux seuls appels téléphoniques passés depuis nos domiciles. Aujourd’hui, tous les instants de nos vies sont connectés, nous laissons des traces de notre façon de vivre, de nos relations, qui en disent plus long sur nous-mêmes que le contenu même de nos conversations. Ce sont nos «données de connexion» qui parlent pour nous. Demain, ce ne seront plus seulement nos ordinateurs et nos téléphones mobiles qui seront connectés, mais aussi nos bracelets, nos téléviseurs, nos réfrigérateurs, nos voitures, nos balances, nos vêtements. Tous les équipements de la vie quotidienne, connectés, collecteront en continu des données sur nos habitudes et nos goûts. Les téléviseurs enregistreront, une fois allumés, l’ensemble de nos conversations avant de les envoyer à une tierce entreprise. Les entreprises telles que Google ou Facebook en connaîtront plus sur nos goûts et sur nos comportements que nos proches. Le «Cloud», empli de failles, n’empêchera pas des hackers mal intentionnés d’utiliser des informations privées. Autant d’exemples concrets, signes de grands bouleversements, d’une remise en cause de la vie privée, de sa préservation, de son respect ; signes de dangers possibles pour nos libertés individuelles.
Nous entrons dans une nouvelle ère : celle des données personnelles et de l’identité numérique. L’ère numérique entraîne une mutation profonde de la société, de nos habitudes de vie, de nos modes de pensée. Les données numériques sont autant de traces laissées par un individu qui permettent de tracer un ADN psychologique, médical, social.
Dans ce contexte, la prochaine décision du Conseil constitutionnel est majeure pour notre avenir.
Les larges champs d’habilitation prévus par la loi renseignement autorisent à penser que chacun de nous pourra, à un moment, faire l’objet d’une captation de ses données : soit parce que nous nous trouverons dans le champ d’habilitation, soit parce que nous serons à proximité d’une personne qui fait l’objet d’une surveillance par un Imsi-Catcher [matériel permettant l’espionnage téléphonique, ndlr]. Peut-être que rien ne pourra nous être reproché. Mais, pour autant, souhaitons-nous vraiment que l’Etat puisse capter la liste des sites que nous consultons, qui révèlent tout de notre vie privée, et qu’il conserve ces informations pendant au moins quatre-vingt-dix jours, et, dans certains cas, quatre années ?
Comment accepter d’entrer dans l’ère du Big Brother orchestré par l’Etat ? Les témoignages que nous laisse l’histoire récente de l’Allemagne de l’Est et des pays totalitaires doivent nous alerter sur les modifications des comportements et de l’expression des idées des citoyens, quand ils savent qu’ils peuvent être «écoutés».
La loi renseignement légalise des pratiques utilisées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Très bien. Limitons alors les champs d’application de cette loi à cette seule finalité, qui réunit l’assentiment de tous. Autoriser l’utilisation des mêmes moyens techniques pour les autres champs d’application de la loi, sans intervention du juge judiciaire et sans réel contre-pouvoir, est liberticide et crée les conditions légales de mise en place d’une société de la surveillance.
Quel est l’intérêt pour les services de renseignement d’avoir la possibilité de récolter et conserver autant de données ? Alors que les Etats-Unis viennent de voter le Freedom Act en juin 2015 et font ainsi marche arrière par rapport au Patriot Act adopté suite aux attentats du 11 septembre 2001, reconnaissant ainsi que la collecte massive de données n’est pas un moyen efficace de lutte contre le terrorisme, il est étonnant de voir le gouvernement français présenter un projet de loi sur le renseignement, autorisant cette même collecte massive de données.
Notre législation, dans l’ère du numérique, doit se construire dans un climat de confiance. La société connectée ne doit pas être celle d’une société de la surveillance, ni celle d’un angélisme naïf. Elle ne doit pas mettre en péril notre capacité à penser, à échanger, à contester, à s’exprimer. La jurisprudence du Conseil constitutionnel préfigurera la France de demain.
Par Laure de LA RAUDIèRE Députée Les Républicains d’Eure-et-Loir Esther BENBASSA Sénatrice Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) du Val-de-Marne Jean-Yves LECONTE Sénateur PS représentant les Français établis hors de France et Arnaud RICHARD Député UDI des Yvelines
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