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Mon intervention à l'Assemblée: "Une loi pour une république numérique devrait porter l'ambition du numérique partout et pour tous" - 29 janvier 2016

 

Voir ICI la vidéo

 

Lire ICI , l'article du Figaro à ce sujet et LA, celui de La Tribune

Texte de l'intervention :

 

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, aujourd’hui, on ne se connecte plus, on est connecté. Enfin, partout ou presque ; pour tous les Français ou presque… Ce devrait être, pour moi, l’objectif premier d’un projet de loi intitulé « pour une République numérique » : rendre accessible à tous les Français l’usage d’internet et des services numériques de la société du XXIsiècle. Sur le terrain, nos concitoyens expriment leurs attentes en matière de très haut débit, et, pour certains d’entre eux, leurs craintes d’une société qui change si vite et dont ils se sentent exclus car ils ne sont pas encore connectés.

C’est mon premier point de critique sur ce texte : il ne répond pas à cet enjeu de faire une République numérique pour tous et partout. Alors qu’on lui a donné le titre pompeux de « pour une République numérique », aucune visibilité n’est donnée sur la réduction des fractures numériques, qu’elles soient territoriales ou sociales.

Depuis le début du XXIsiècle, le numérique a bouleversé les modèles économiques traditionnels des entreprises, le fonctionnement de nos sociétés et nos modes de vie. L’accélération est fulgurante. Le numérique a pénétré notre intimité au point que nous n’imaginons plus nous passer d’outils pourtant très récents.

Si chacun loue les bénéfices qu’il en tire pour son usage personnel, l’analyse est plus complexe dès lors que son influence sur le monde économique est évoquée.

Le premier réflexe est en effet celui de la protection, de la résistance face à un bouleversement sans précédent depuis l’invention de l’électricité et, avant elle, celles de l’agriculture, de l’écriture et de l’imprimerie. Ce bouleversement étant parfois symbole de destruction de l’emploi, le premier réflexe est de réglementer, encore réglementer et toujours réglementer, face à des acteurs souvent américains, mais parfois français, qui préemptent des places de façon quasi monopolistique sur de nouveaux marchés. Une fois de plus, malheureusement, ce texte tombe dans le panneau de la réglementation franco-française, alors que nous devrions répondre de façon révolutionnaire. Pour paraphraser Danton, je dirais avec notre rapporteure pour avis Corinne Erhel que nous devrions au contraire répondre avec audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. Nous devrions répondre dans un esprit de conquête, de développement, de croissance.

Pensons simplement que 83 % de la capitalisation boursière des grandes entreprises de l’internet concernent des firmes américaines et seulement un peu plus de 2 % des entreprises européennes. À l’évidence, c’est un enjeu de souveraineté majeur pour l’Europe et pour la France

Comment faire en sorte que la France tire parti de ces transformations ? Cela devrait être au cœur ce projet de loi pour une République Numérique. Or ma conviction est que le texte ne répond pas non plus à cette question.

Rien sur l’éducation, rien sur la formation, rien dans le domaine de la santé – pourtant, tout le monde sait ici les promesses et les questions éthiques que soulèvent les progrès scientifiques en matière de e-santé –, rien sur l’emploi, et, en dehors de l’ouverture des données publiques, rien sur le fonctionnement des institutions ! Alors pourquoi, je le répète, avoir pompeusement intitulé ce texte « pour une République numérique » ?

Mais je veux être positive, moi aussi, et saluer et remercier sincèrement les rapporteurs et la secrétaire d’État pour le climat constructif dans lequel se sont déroulés les débats.

En revanche, nous ne pouvons que regretter de n’avoir eu que deux petites journées entre le travail en commission et la limite de dépôt des amendements, alors même que beaucoup d’articles ont été réécrits et que beaucoup de nouveaux débats intéressants ont été ouverts, nécessitant des approfondissements soulignés par tous.

Nous avons aussi, sur tous les bancs, souligné le flou de la rédaction de certains articles importants, comme ceux concernant la portabilité des données ou les plateformes de services en ligne. L’étude d’impact est particulièrement indigente sur ces points : rien sur la définition précise des données concernées par la portabilité, et cela inquiète grandement nos entreprises françaises du numérique car, vous le savez, votre texte va bien plus loin que le projet de règlement européen ; rien non plus sur les entreprises qui seront concernées en France par la régulation applicable aux plateformes. Combien seront-elles ? Dix, cent, mille, dix mille ? Où fixerez-vous le seuil ? Rien n’est précisé dans l’étude d’impact. Vous aviez pourtant largement le temps de le faire depuis trois ans ! Cette façon de légiférer est, disons-le, mauvaise. C’est prendre des dispositions à l’aveugle, sans en connaître les effets, juste pour se faire plaisir !

Ces mesures franco-françaises dans un cadre de réglementation qui relève du niveau européen représentent l’inverse de ce qu’il faut faire, d’un point de vue économique, pour rendre la France attractive. Elles vont conduire les entreprises à appliquer de nouvelles règles en matière de protection des données personnelles pour quelques mois, puis à en changer après l’adoption du règlement européen. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Est-ce cela, le choc de simplification voulu par François Hollande pour les entreprises et les Français ? Car ce seront autant de charges administratives supplémentaires que subiront les acteurs du numérique en France, comme si nos entreprises n’en avaient pas suffisamment !

Sur le secret des correspondances, l’article 34 traduit un cynisme politique aux effets de bord dangereux dans la rédaction actuelle. Après avoir décidé d’analyser les communications des Français dans le cadre de l’article 2 de la loi relative au renseignement en mai 2015, le Gouvernement veut compléter les dispositions législatives existantes sur le secret des correspondances par des mesures qui pourraient conduire, éventuellement, à interdire les messageries en gmail.com ou yahoo.fr en France, mais aussi les innovations des services de messagerie intelligente.

Je vais conclure, madame la présidente, en indiquant que le texte contient malgré tout plusieurs bonnes dispositions. Je ne voudrais pas oublier l’open data, par exemple.

On peut cependant regretter que les débats parlementaires consacrés à ces questions aient été scindés en trois textes différents en six mois : la loi NOTRe, la loi Valter de transposition de la directive européenne et ce projet de loi « pour une République numérique ».

En dépit des bonnes dispositions évoquées, j’ai le sentiment global que la politique du Gouvernement en matière de numérique est illisible et manque de cohérence.

J’y distingue trois axes contradictoires : l’axe que je qualifie d’« attractivité du territoire », porté par le ministre Emmanuel Macron lorsqu’il met en scène les entreprises de la French Tech à Las Vegas ; l’axe que je qualifie de « repli sur soi par des mesures franco-françaises », que vous-même portez dans ce projet de loi, madame la secrétaire d’État ; enfin l’axe « sécuritaire » porté par le ministre Bernard Cazeneuve, qui effraie hébergeurs et fournisseurs de services français par les mesures de surveillance mises en œuvre. Comment s’y retrouver ?

Dans un domaine où formation et pédagogie doivent constituer un fil conducteur, le Gouvernement envoie des signaux contradictoires aux Français et aux acteurs économiques. C’est bien dommage !

 

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